Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs,
A
l’heure où il vous est demandé – en votre qualité de représentant(e)s du peuple
– de voter en procédure accélérée la loi sur « l’école de la
confiance », le présent manifeste tient à attirer votre attention sur ce
texte attentatoire aux droits individuels de nos enfants et à
la liberté de leurs familles.
Arguant que la qualité du service public de l’éducation dépend de la cohésion
de la communauté éducative autour de la transmission de connaissances et de
valeurs partagées, M. Blanquer inscrit dans la loi pour les personnels une
exemplarité dans l’exercice de leur fonction et, pour les familles, le respect
de l’institution scolaire, dans ses principes comme dans son fonctionnement. La
confiance ne se décrète pas, elle se gagne : la qualité du service public
de l’éducation dépend avant tout de la qualité de l’instruction qu’il
dispense, à savoir un enseignement adapté à la diversité du public avec des
pédagogies diversifiées, des programmes modulables, quand elle est pensée pour
les enfants et non pas en simple considération d’économies budgétaires ou de
désidératas organisationnels. Deux drapeaux et l’affichage des paroles de la
Marseillaise ne suffisent pas à partager les valeurs de la République, .
Victor
Hugo le disait avec simplicité » l’éducation, c’est la famille
qui la donne, l’instruction, c’est l’état qui la doit « . A ce
propos, il faudra garder à l’esprit les droits de l’enfant, notamment en
matière d’éducation et d’instruction tels qu’ils sont définis par la Convention
Internationale des Droits de l’Enfant ratifiée par la France. En
préambule, les états signataires rappellent leur conviction que la famille,
unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le
bien-être de tous ses membres et en particulier des enfants, doit recevoir la
protection et l’assistance dont elle a besoin pour pouvoir jouer pleinement son
rôle dans la communauté. C’est donc le service public de l’éducation
qui a des obligations à l’égard de tous les enfants et de leurs familles et non
pas l’inverse.
S’il est indéniable que le système éducatif français se doit d’évoluer, d’être
profondément réformé tant ses classements montrent le retard pris sur nos
voisins, il eut été judicieux de prendre le temps de conduire une réelle
concertation sur le sujet, avec la même bienveillante écoute des familles et
des acteurs de l’école que celle qui a été prêtée aux rapports de quelques
technocrates totalement déconnectés de la réalité au quotidien du
fonctionnement de l’école et qui ne rapportent rien si ce n’est de préconiser
des économies.
» Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance
« (Abraham Lincoln).
Les missions légales de l’école de la République sont définies comme
suit :
« L’éducation est la première priorité nationale. Le service public de
l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des
étudiants. Il contribue à l’égalité des chances et à lutter contre
les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et
éducative. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre
et de progresser. Il veille à l’inclusion scolaire de tous les
enfants, sans aucune distinction. Outre la transmission des
connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire
partager aux élèves les valeurs de la République. Le service public de
l’éducation fait acquérir à tous les élèves le respect de l’égale
dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité.
Par son organisation et ses méthodes, comme par la formation des maîtres qui y
enseignent, il favorise la coopération entre les élèves. »
Le
projet de loi pour une « Ecole de la Confiance » entend mobiliser
autour du concept d’ « Ecole inclusive ».
Or, l’obligation d’instruction entre 6 et 16 ans (dès 3 ans à
la prochaine rentrée) s’applique à tous les enfants.
Le droit à l’égal accès à l’instruction pour tous, inscrit dans la constitution de 1946, est par ailleurs reconnu comme une liberté fondamentale.
La
loi du 11 février 2005 – pour l’égalité des droits et des chances, la
participation et la citoyenneté des personnes handicapées – rappelle ce droit
constitutionnel et réaffirme l’obligation du service public de l’Etat d’assurer
la formation scolaire, professionnelle et supérieure de tous les enfants,
adolescents et adultes en situation de handicap.
Ce cadre législatif crée ainsi l’obligation pour l’Etat – au nom de la
non-discrimination et de la solidarité nationale – de mettre en œuvre les
moyens humains et financiers nécessaires à rendre effectif ce droit à l’école
pour tous. C’est cela, l’école de la République.
Afin de garantir un parcours adapté à tout enfant en situation de handicap, les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH) se sont vues confier la mission d’évaluation des besoins et compétences de ces derniers afin d’apporter des réponses de droits spéciaux consignées dans un document, le Projet Personnalisé de Scolarisation (PPS), garant de la continuité et de la cohérence du parcours de l’enfant, puisque l’ensemble des mesures prises s’imposent à l’établissement qui l’accueille. L’inscription dans la loi de Pôle d’Inclusif d’Accompagnement Localisé (PIAL) n’est que le moyen de priver l’enfant de droits spéciaux (droit à compensation) ouverts par la MDPH (et donc opposables) en contournant celle-ci par un dispositif interne à l’éducation nationale qui attribue en fonction de ses moyens et non des besoins de l’enfant. C’est donc priver l’enfant et sa famille de droits donnés par la loi de 2005 pour s’exonérer de ses obligations de moyens.
L’application de la loi de 2005 aussi perfectible soit-elle explique – pour partie – que le nombre d’enfants handicapés de 2006 à aujourd’hui est passé de 155 000 à 320 000, augmentant par là même les mesures de compensation.
Pour autant, le retard de la France en matière de scolarisation
des enfants en situation de handicap reste plus que préoccupant : un enfant en
situation de handicap sur quatre n’a pas accès à l’école, sans parler
de la qualité de la scolarisation de ceux qui sont scolarisés mais qui ne
bénéficient pas des aménagements indispensables ou sont scolarisés sur des
temps plus que partiels, sont ségrégués dans des classes/dispositifs Ulis ou
assimilés etc….
L’expérimentation conduite depuis la rentrée 2018 sur le PIAL se veut être
l’application de l’organisation administrative de l’Italie qui scolarise depuis
les années 1970 tous ces enfants, sauf que l’Italie a donné les moyens à ses
écoles :
- tous les hôpitaux psychiatriques et les établissements ont été fermés en 1971. Il n’existe pas de classe dites spécialisées et la loi est des plus explicite : « Tous les étudiants dans une situation de handicap (même grave) ont le droit de fréquenter les classes communes des écoles et établissements scolaire de tous niveaux (maternelle, élémentaire, moyen et supérieur). C’est un droit opposable, l’école ne peut pas refuser la scolarisation en classe ordinaire et si elle le fait, elle commet une infraction pénale.
- les effectifs des classes qui accueillent un enfant en situation de handicap sont limités à 20.
- un enseignant spécialisé attribué à la classe. (formé master en science de l’éducation + 300h00 de formation dont la moitié en stage).
- Les enfants en situation de handicap bénéficient en moyenne de 10h00 d’accompagnement par un AESH donc un peu plus que nos enfants en France).
Si s’inspirer des pays qui scolarisent vraiment tous leurs enfants est indéniablement de bon augure, la France ne pourra l’envisager sans une réflexion préalable sur le fléchage des moyens vers l’école et non vers les secteurs sanitaire ou médico-social. Cacher le soin et la rééducation au cœur de l’école ne réglera pas la question du besoin d’adaptation de l’école, des supports, des pédagogies aux besoins éducatifs particuliers.
Aussi, la loi sur l’école de la confiance détricote-t-elle toute
l’organisation prévue par la loi de 2005 sans prévoir autre chose que de
l’expérimentation sur nos enfants qui se retrouvent utilisés comme des
objets de soinspour la transformation du secteur sanitaire et médicaux
social, comme objet d’étude, d’expérimentation et d’orientation de
l’école « inclusive » mais toujours pas comme sujet de
droit ! Or, le concept « d’inclusion » ne peut se
comprendre autrement qu’en cessant d’exclure.
Les dispositions prévues sont attentatoires à leur droit d’aller à l’école
comme tout enfant.
– Elle donne droit à la médecine scolaire d’imposer des bilans pour
diagnostiquer des troubles physiques ou psychiques, c’est-à-dire d’étiqueter
les élèves, de les orienter par rapport à leur handicap, en dehors de l’avis
des parents, pourtant les seuls en capacité juridique de déroger au droit
commun. Et quand les parents veulent faire exercer les droits de leur enfant,
l’école peut avec de telles dispositions législatives, faire pression sur les
parents avec une information préoccupante pour « absence de
soins » : les parents risquent alors de se voir retirer leur enfant.
(cf amendements 814 et 1035)
– Elle crée des PIAL qui feront obstacle à l’accès à la MDPH, seule
compétente pour évaluer les besoins des enfants en situation de handicap et
élaborer un PPS pour garantir un parcours adapté aux besoins de l’enfant.
On n’aura beau invoquer que l’on cherche à éviter « des ruptures de
parcours » que l’on imputerait à la nature même de l’élève, ces ruptures
ne sont dans la réalité que des exclusions de nos enfants quand l’école pensent
qu’ils ne sont pas « scolarisables ». (cf article 5 Quater et
Amendement 293.
– Pire encore, cette école de la République qui peine à s’acquitter de ses
obligations légales d’égal accès à l’instruction pour tous voudrait en prime
contraindre les familles des enfants exclus, dont les parents assument
l’Instruction en Famille non pas par choix mais par contrainte, à rendre
compte, à justifier, à obtenir des obligations de résultats non pas sur
l’instruction, mais sur l’acquisition des savoirs fondamentaux. Là encore, la
liberté d’enseignement, dont le conseil constitutionnel a garanti la portée
constitutionnelle (décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971) est menacée par
plusieurs articles et amendements. Le principe d’égalité de traitement devant
la loi est aussi bafoué par plusieurs principes de ce texte. (cf article 5,
Chapitre III)
Une école normative à outrance qui trace des parcours et oriente en fonction de
ses normes, de ses propres représentations, ne saurait être l’école de la
République tant elle ne garantit aucune égalité, aucune prise en compte et
adaptation aux besoins éducatifs particuliers de chacun.
L’école de la République ne saurait exister sans se donner les moyens de ses
ambitions :
La loi du 11 février 2005 faisait déjà obligation de formation des personnels
de l’enseignement : force est de constater que rien (ou si peu) n’a été
réalisé : nous en voulons juste pour preuve l’amendement rejeté relatif à
l’ajout d’un nouvel article après l’article L94-1 précisant « l’ensemble
du personnel encadrant les enfants est tenu de recevoir une formation minimale
qui inclus obligatoirement une sensibilisation aux stades de développement de
l’enfant et à ses droits ». Aucune transformation en profondeur de
l’école ne pourra être conduite sans en amont une solide formation initiale et
continue des enseignants et AESH, garante de donner les outils nécessaires pour
une pédagogie diversifiée.
Les conditions d’exercice de ces métiers doivent être rediscutées, le
développement de l’attractivité de ceux-ci repensé. En effet, on ne
peut pas imaginer une école bienveillante avec des personnels usés par des
réformes successives, des programmes qui changent trop souvent sans que l’on ne
les consulte, sans leur reconnaître la moindre expertise de leur métier puisque
l’administration centrale pense pour eux. (cf article 14)
L’école de la confiance voudrait garantir l’apprentissage des fondamentaux
alors qu’elle n’arrive ni à s’acquitter de ses obligations de moyens, ni de ses
obligations de résultats. Le démantèlement, la libéralisation du service public
vers une privatisation va laisser les plus fragiles de nos enfants sur le bord
du chemin. Cette école à trois vitesses, une pour l’élite, une autre pour
les enfants « dans la norme » et enfin des dispositifs expérimentaux
par type de handicap ne créera que plus d’inégalités qu’elle ne le fait déjà.
On ne saurait parler d’une société inclusive si déjà, l’école de la République
ne fait pas place à chaque enfant et s’autorise à exclure tous ceux qui ne
seraient pas en capacité d’acquérir les fondamentaux au rythme imposé. Une
école qui impose dès l’âge de 3 ans des acquisitions pédagogiques alors que l’on
sait que le cerveau n’est à cet âge pas mature pour le faire. L’école qui veut
former ses élèves à devenir des futurs citoyens ne peut s’exonérer d’expliquer
le fonctionnement d’une démocratie avec la séparation de pouvoirs :
le législateur légifère, le gouvernement gouverne et rend compte au législateur
de l’application des lois, l’administration administre, la justice juge…
Le cours magistral de M. Blanquer à l’Assemblée Nationale sur la pédagogie qui
se définie selon lui par l’art de se répéter n’est pas de nature à faire
confiance ! Ce n’est pas parce que l’on parle plus et plus fort que l’on a
raison. La pédagogie est une science de l’éducation, des méthodes
d’enseignements qui s’appuient sur les cognisciences. Il n’est pas besoin
d’expérimenter avec nos enfants, il suffit de se former auprès de gens
compétents, experts en la matière.
Le cynisme de ce projet de loi apparaît clairement lorsque M. Blanquer scande
toujours devant l’assemblée qu’il ne veut pas créer de droits opposables pour
nos enfants ! Or, M. Blanquer se trompe et nous trompe : il ne s’agit
pas de créer de nouveaux droits mais de garantir leur mise en œuvre telle que
prévue par la loi du 11 février 2005. La jurisprudence le rappelle
constamment.
Les Sénatrices et Sénateurs ne seront pas dupes ! Cette réforme
conduite en toute hâte n’a pas pris le temps de la réflexion. Le
droit « souple », à géométrie variable au nom de l’expérimentation qui
dédouane le service public de l’éducation de toutes obligations de moyens va
forcément laisser les plus fragiles de nos enfants aux portes de l’école de la
république.
Au regard de la gravité de la situation, de la mise en danger de nos
enfants, nous sommes aujourd’hui contraints de vous demander de solliciter
le Conseil Constitutionnel pour un contrôle à priori de conformité de ce
texte à la Constitution.
Vous trouverez sur notre
page ici plus de détails sur les raisons de notre
vive inquiétude quant à l’avenir de nos enfants.
Nous restons bien entendu à votre disposition pour tout renseignement
complémentaire et vous prions d’agréer, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs,
l’expression de nos sentiments dévoués.